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...A la lumière d'Arles, le regard de Yannig Hédel vient se suspendre. Des lieux lentement écoutés, décomptés, égrenés, il isolera le fuseau de l'obélisque romain qu'il s'attache à défaire des accessoires du paysage, ne gardant que le haut de l'aiguille minérale, basculée en plein ciel.
A découvrir les longues suites d'images qui en sont advenues, on est tenté de convoquer les travaux précédents, le petit pan de mur blancou ce pignon aveugle qui porte la méditation De labore solis : semblable mesure des ombres, ordonnées comme un mouvement d'horloge, semblable ciel, si étrangement opaque d'une densité d'écran; et le sujet lui-même, si manifestement pris par la tentation de l'immobile.
Mais l'objet, cette fois, fabuleux diapason ancré au centre de la place était de tout autre nature; mobile par essence, comme toute pierre dressée, mais plongeant dans l'histoire la perfection de sa géométrie, et dans l'espace l'arête de quatre pans coupés -nord-est-sud-ouest- à même de le dédier au tournoiement des astres comme à celui des chars antiques, lancés autour de la spina du cirque : aiguille magnétique, oscillant dans le temps autant que sur le territoire même de la ville...
Nord/est/sud/ouest : le défilé des images comme les grains d'un rosaire.
Nord-est / sud-est / sud-ouest / nord-ouest : angles métronomes, où bat heure après heure la courbe du soleil.
De ce pinceau trempé dans l'ombre, l'artiste extrait le goutte-à-goutte hypnotique; breuvage immatériel, assez puissant à l'évidence pour porter ce monolithe opaque au seuil d'un corps spectral. C'est entre autres à cette métaphysique-là, indissociable de la rigueur des nombres, que nous invite cette fois l'encre photographique de Yannig Hédel.
Michèle MOUTASHAR Arles/juin 2001
En ce lieu je reviens, et à chaque passage, je traverse l'hôtel de ville et son grand hall. M'arrêtant sous la grande voûte et sa merveille de stéréotomie, j'écoute le bruit des pas. Puis, comme un chat en reconnaissance de territoire, je fais le tour de l'obélisque et de sa fontaine. J'imagine les tribulations de l'aiguille de pierre à travers la ville et ses siècles, j'entends les querelles de l'amortissement, soleil, bonnet phrygien, coq, portés au ciel puis volatilisés, puisque tel est le sort des vanités. Je l'imagine, je la vois vibrer au vent comme le chêne, je souffre de ses fendillements, je tremble — et si le gel les jours d'hiver venait à bout de ses délitements et réussir ce que les vandales n'ont pas su faire ? Mais l'obélisque est toujours là et à chaque rencontre nous reprenons nôtre conversation sur le temps en quelques feuilletages.
Une visite au musée Réattu, libre en ses murs de l'agitation de l'été, est venue apporter un nouvel éclairage. Dans une salle obscure étaient accrochées les photographies de Yannig Hedel.
Il se dit arpenteur, je le vis cadranier et sentis comme une osmose, face à cette idée qui m'apparut, comme dit Flaubert, obéliscale*, mais tout aussi géniale dans son minimalisme photographique : l'obélisque-gnomon mesurant la course immobile de l'astre solaire, non par la projection de son ombre au sol, mais par la projection de l'ombre de la ville sur le sommet de pierre, ses faces, ses arrêtes. Tout un renversement. Prises à différents moments et montées en polyptyque, les photographies dessinent en arc de cercle la rotation invisible des jours et des passants dans la ville muette.
Hélène VERDIER - Arles, 16 mai 2015
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